Dans ce livre, Anna Tristram étudie l'accord verbal avec quelques noms collectifs du français. Son objectif est triple: explorer la variation en ce domaine, les facteurs impliqués, et tester l'hypothèse qu'un changement est en cours. Il s'agit aussi de mettre à l'épreuve une méthodologie combinant démarche sociolinguistique et corpus. L'ouvrage est composé de sept chapitres, suivis de quatre annexes présentant une partie du matériel d'expérimentation, et de deux index. Dans le premier chapitre Tristram expose le contexte de son étude, soulignant la rareté des études de variation morpho-syntaxique pour le français parlé en France. Le chapitre 2 est dédié à des questions théoriques. Après une définition de l'accord, l'auteure propose de définir les ‘Noms de type collectif’ comme morphologiquement singuliers mais référant à une entité faite de deux unités ou plus, et affichant possiblement une variation au niveau de l'accord verbal. Elle présente ensuite les facteurs susceptibles d'influer (syntaxiques: présence d'un complément du nom, distance linéaire ou syntaxique, hiérarchie d'accord; et sémantiques: caractère animé et conceptualisation). Le chapitre 3 expose la méthodologie qui croise, pour sa dimension sociolinguistique, interviews guidées et énoncés à trous (portant sur ‘foule’, ‘majorité’, ‘minorité’, ‘la moitié’, ‘partie’, ‘reste’), en relation avec les variables externes ‘âge’, ‘genre’ et ‘niveau d'études’, tout en s'appuyant sur un corpus de 50 millions de mots (milieu dix-septième siècle jusqu'au vingtième siècle). Les résultats des interviews guidées et des énoncés à trous mettent au jour, dans le chapitre 4, la présence d'une variation singulier/pluriel en français contemporain. Mais alors que les énoncés à trous font apparaître une préférence pour le singulier, c'est l'inverse dans les interviews, caractérisées par leur caractère moins formel. Il ressort en outre que les jeunes et les femmes utilisent davantage le pluriel, signe possible d'un changement en cours. La prise en compte individuelle des expressions montre cependant des divergences notables. Dans le chapitre 5, l'étude sur corpus se concentre sur les noms ‘majorité’, ‘minorité’, ‘foule’ et ‘partie’. La tendance générale (hausse du pluriel à la fin du dix-septième puis baisse à la fin du dix-huitième) est pareillement tempérée par la considération des diverses expressions. Il reste que, dans tous les cas, la présence d'un complément du nom, en particulier au pluriel, semble largement favoriser l'accord au pluriel, de même que la distance. Le chapitre 6 explore le rôle du niveau d'éducation sur le choix de l'accord. Il apparaît que, plus un sujet est éduqué, plus il tend à utiliser le singulier. Ce ne sont cependant pas les grammaires scolaires qui semblent influer, mais le souci de respecter un standard (sujet singulier = verbe singulier), au moins à l'écrit. En conclusion, l'auteure revient sur l'hypothèse d'une hausse des accords au pluriel, en soulignant le caractère complexe du mouvement, variable selon les expressions. Ainsi, si tous les noms présentent une variation, celle-ci n'est pas toujours associée à un changement. En outre, l'étude a montré que les généralisations sociolinguistiques développées à partir de données anglaises (souvent phonologiques) peuvent être appliquées à la variation morpho-syntaxique en français. Cet ouvrage constitue un apport majeur dans le champ de la linguistique variationniste et diachronique, tant par les résultats mis au jour que par la qualité de sa démarche méthodologique.
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