Les philosophes de toutes les convictions semblent etre d’accord pour considerer, comme allant de soi, qu’il ne peut pas y avoir d’assertion dans les images et, encore moins, dans la realite visuelle en tant que telle. Il est vrai que l’ecole de Greimas postule la presence des enonces narratifs a la base de toute sorte de semiose, mais si l’on s’explique longuement sur la narrativite, on ne parle guere du statut d’enonce en tant qu’enonce, qui est presuppose dans la discussion sur l’existence de valeurs. Ceci vaut d’ailleurs aussi pour le structuralisme francais en general, qui n’a pas hesite a etendre la notion d’enonce au-dela de la langue, sans problematiser le procede. Le psychologue Rudolf Arnheim fait un plaidoyer pour la pensee visuelle, mais il ne mentionne jamais l’idee de propositions visuelles ; et quand, dans la psychologie cognitive, on s’empresse de reconnaitre un « code iconique » dans la memoire, a cote du « code verbal », c’est precisement pour se debarrasser de la structure propositionnelle. D’autre part, du point de vue de Peirce, qui a recemment ete vigoureusement defendu et etendu par Frederik Stjernfelt, le monde entier de notre experience est perfuse de propositions et meme d’arguments. Ici, nous allons tenter d’explorer les conditions dans lesquelles les images, et meme les situations perceptives, peuvent comporter des propositions — et meme des propositions enoncees. Les images contiennent des propositions au sens formel d’attribuer une propriete a un objet, mais elles le font en mettant l’accent sur la propriete dans la totalite de l’objet, non pas en ajoutant cette propriete a l’objet. Les images peuvent le faire parce qu’elles disposent d’un point de vue et d’un cadre. L’acte d’attention peut certes en tenir lieu, mais seulement d’une maniere ephemere. Les vitrines des magasins ainsi que les installations, au sens artistique, peuvent fonctionner comme des propositions, parce qu’elles offrent des cadres, et peut-etre meme des standards de comparaison. Les images, cependant, ont au moins deux avantages supplementaires : 1) elles sont necessairement a la fois semblables et differentes de ce qu’elles representent, et cette difference implique une sorte de proposition au sujet de l’objet represente (ceci est la transformation homogene selon le Groupe µ ; 2) contrairement a la realite perceptive, les images peuvent etre reduites a l’essentiel, a ce stade, bien que la reduction doive s’effectuer par une division dans de plus gros morceaux que dans le langage verbal (cela implique quelques-unes des transformations heterogenes selon le Groupe µ). Les images scientifiques, les panneaux de signalisation et d’autres images utilisees principalement pour transmettre des informations sont de ce dernier type. Il semble etre beaucoup plus difficile, cependant, de trouver un equivalent a la structure de l’argument dans les images, et encore moins dans la realite visuelle.