La « colonialité », née du colonialisme, de ses discours stéréotypés et de ses refus de considérer comme citoyen, humain jouissant de ses droits, toute personne étrangère à l’Europe, est pourtant apparue en même temps que la civilité et les lumières. Cette contradiction profonde a nourri la modernité ; et la colonialité demeure manifeste aujourd’hui. Malgré le développement du postcolonial et du décolonial qui repensent les rapports de l’Europe au monde antérieurement colonisé, la colonialité continue de corrompre dans les représentations populaires comme institutionnelles l’image de ceux qui ne sont pas de d’origine et de culture européennes. Par ailleurs, du fait même des ambigüités et des incohérences qui altèrent le fonctionnement de sociétés qui ont du mal à s’accepter comme multiculturelles, des affrontements intellectuels et théoriques s’installent dans les transferts de savoir, notamment sur les questions d’identité et d’héritage colonial. C’est ainsi que dans la sphère universitaire le postcolonial et le décolonial se heurtent. Il est donc intéressant aujourd’hui dans une réflexion sur le postcolonial et le décolonial de se poser les questions réelles sur les conceptions et réceptions de ces deux théories. Il est aussi crucial de se poser la question des visées heuristiques et politiques du postcolonial et du décolonial surtout lorsqu’il s’agit du rapport de la France avec ses anciennes colonies. Ce débat soulève également celui de la censure épistémologique ; et la question de Gayatri Chakravorty Spivak, grande figure des postcolonial studies, Can the subaltern speak, prend ici une autre dimension, celle de la validité de la voix du chercheur venant d’une sphère autrefois ou encore coloniale et toujours considérée comme figée dans une colonialité.