Suite aux travaux pionniers de Pentland, un grand nombre d'historiens canadiens du 19e siècle ont postulé l'existence d'un marché du travail partagé pendant la période cruciale s'étendant de 1850 à 1870. D'après cette hypothèse, on assiste à cette époque à la création d'un prolétariat sans terres, élément essentiel à la transformation du pays, d'une économie agricole et commerciale à une économie industrielle et capitaliste. Ce groupe naissant était partagé suivant l'ethnie, les travailleurs Anglais et Ecossais occupant les emplois spécialisés, les Irlandais étant relégués aux emplois non spé- cialisés. On soutient que ce partage interne, s ajoutant aux salaires élevés versés aux travailleurs les plus prévilégiés, permit au Canada d'éviter en grande partie le radi- calisme ouvrier, alors que la réserve de personnel compétent épargna aux industries canadiennes les coûts élevés de la formation. Cependant une étude des recensements de 1861 et 1871 dans le centre-sud de l'Ontario indique que, en majorité, les immigrants irlandais catholiques et protestants travaillaient non pas à des emplois industriels peu rémunérés, mais bien à Vagriculture. Une enquête informatisée sur 10,000 hommes cou verts par les deux recensements et dont l'emploi est connu, fournit des renseignements sur un certain nombre de questions. L'analyse des données révèle les différences suivantes dans la composition de la population active masculine entre 1861 et 1871: a) la proportion de personnes nées en Ontario passer de 27 à 40 pour cent, alors que le nombre de personnes nées en Irlande baisse de 24 à 15 pour cent; la proportion de personnes nées en Ecosse et en Angleterre demeure essentiellement inchangée: b) pour ce qui est des emplois, il y aun mouvement du travail d'ouvriers vers iagriculture et, dans une moindre mesure, vers les occupa- tions artisanales et non-manuelles; la grande majorité des fermiers (84 pour cent en 1871) est propriétaire et non locataire; c) ni l'ethnicité ni la religion ne déterminaient l'occupation; à l'exception d'une concentration d'Irlandais d'origine dans les milieux ouvriers, la population active ne semble pas avoir été départagée suivant l'ethnicité ou Vappartenance religieuse. Une proportion relativement élevée de travailleurs nés en Ontario (30 pour cent en 1861 et 25 pour cent en 1871) était constituée de fermiers et de leurs fits; d) pendant cette période les différences entre nationalités au sein des groupes occupationnels s'aténuent, quoique les Irlandais catholiques continuent d'être sur- représentés chez les ouvriers, tout comme les Anglais d'origine dans les occupations bourgeoises et artisanales. S'il y a une certaine spécialisation occupationnelle par groupe ethnique, la concertration n'est pas assez prononcée pour appuyer l hypothèse selon laquelle la population était profondément partagée suivant l'ethnicité; e) une analyse des emplois par groupes d'âge laisse croire qu'il n'y a pas de mouvement d'abandon de l'agriculture et, conséquemment, pas de prolétarisation de la population au cours des années 1860. Au contraire, il y eu un accroissement de la proportion de fermiers et une diminution de la proportion d'ouvriers. Chaque groupe occupationnei suit un modèle de croissance particulier, avec des variations dans le temps; f) i établisse- ment de liens entre les données des deux recensements permet certaines conclusions sur la question de la permanence dans l'emploi. Près de 90 pour cent de ceux qui étaient fermiers en 1861 se réclamaient du même groupe occupationnei une décennie plus tard, alors que seulement un tiers des ouvriers faisaient de même. Dans l'ordre, les artisants, les professionnels et les marchands/fabricants se situent au centre de l'échelle pour ce qui est de la permanence. Un nombre relativement peu élevé de fils de fermiers (7 pour cent) sont devenus ouvriers ou artisans. Le groupe occupationnei le moins stable est celui des travailleurs non-manuels, où seulement 30 pour cent ont gardé le même genre d'emploi. Les données indiquent une mobilité occupationnelle assez élevée dans le temps, et l'absence de dépeuplement rural ou d'une crise de l'agriculture; g) sauf pour les travailleurs non-spécialisés, la mobilité semble dépendre plus de l'occupation que de l'âge. Le taux de mobilité est le plus élevé pour les travailleurs âgés de moins de 25 ans, particulièrement chez les ouvriers, alors qu'il est moins prononcé entre 25 et 54 ans. Au delà de cet âge, seuls les artisans ont une certaine mobilité. En tenant compte de l'ethnicité dans les calculs, un seul phénomène important peut être identifié: les ouvriers Irlandais catholiques avaient plus fortement tendance à demeurer dans cette catégorie pendant assez longtemps. A une époque où Vindustrialisation urbaine prenait de l'ampleur, la production indé- pendante de produits de base pas des familles d'agriculteurs devint également plus courante. La mobilité occupationnelle était généralisée, ce manifestant particulière- ment du groupe des ouvriers, vers celui des agriculteurs.