Regismont-le-Haut (Poilhes, Herault, France) est une des rares stations de plein air du debut du Paleolithique superieur connues a ce jour dans le Sud de la France et presentant des conditions taphonomiques ayant permis la conservation d’amenagements et d’aires d’activite bien circonscrites. Ce campement aurignacien est implante dans deux depressions heritees de paleochenaux perpendiculaires asseches et progressivement combles par l’erosion d’une colline voisine, aujourd’hui arasee, selon une dynamique colluviale se melant a des apports eoliens. Cette configuration a conduit a une preservation exceptionnelle de l’installation humaine a l’interieur de ces deux paleochenaux, laquelle consiste en une unique surface d’occupation tres peu perturbee, formant deux principales aires bien dissociees dans l’espace. Une vingtaine de structures de combustion ont ete mises au jour. Elles constituent autant de poles d’activite, autour desquels le materiel archeologique se concentre en un semis plus ou moins diffus : silex et quartzite, macro-outillage en calcaire, charbons, os mal conserve, malacofaune et matieres colorantes. Les matieres colorantes se presentent sous des formes diverses : blocs de matiere premiere bruts ou semi-transformes (majoritairement rouges, mais aussi jaunes et noirs), mottes friables resultant vraisemblablement d’une preparation (rouges), residus de poudre rouge sur des elements lithiques et en particulier des grattoirs en matieres siliceuses, residus de poudre rouge sur des pieces de parure en coquillage, impregnations rouges dans les sediments. Nous avons focalise notre attention sur les blocs de matiere premiere pour 1) caracteriser les geomatieres introduites sur le site et leurs proprietes (pouvoir colorant, durete, etc.), 2) decrire les chaines operatoires de preparation et de transformation de ces materiaux, 3) initier une reflexion sur les modalites d’utilisation et les fonctions devolues aux matieres colorantes a Regismont-le-Haut. L’ensemble du corpus a fait l’objet d’observations a l’oeil nu et sous loupe binoculaire et d’une classification par gamme petrologique. Un echantillonnage des differentes classes a ete caracterise par observations a fort grossissement, analyses elementaires (microscopie electronique a balayage avec analyse en energie dispersive : MEB-EDS) et structurales (diffraction des rayons X : DRX). Ces resultats ont ensuite ete interpretes au regard de la repartition spatiale des vestiges. Sept classes ont ete mises en evidence, suivant plusieurs criteres petrographiques (texture du ciment, nature des inclusions, structure des mineraux). Certaines fonctionnent par paires et peuvent provenir d’un meme facies geologique. Le principal geomateriau introduit est heterogene, majoritairement compose d’hematite, parfois de goethite, associees a du quartz, de la calcite et de la muscovite ; il peut presenter une durete importante, qui implique de faire appel a des outils pour le transformer en poudre. La deuxieme grande gamme de matiere rouge est constituee de blocs tendres riches en hematite, kaolinite et calcite, avec de petits grains de muscovite. Beaucoup moins nombreux, la goethite, des composes plombiferes (cerusite et galene) et de la kaolinite ou de la dolomite ont ete identifies dans les fragments jaunes. Les rares blocs noirs sont quant a eux composes d’oxydes de manganese. Les caracteristiques petrographiques, elementaires et mineralogiques de l’assemblage de matieres colorantes temoignent d’un approvisionnement a large spectre de matieres premieres qui refletent les ressources minerales regionales, ainsi que l’ont montre nos premieres prospections gitologiques. Les transformations correspondent essentiellement a des operations mecaniques requerant broyage-concassage tandis que les blocs tendres riches en hematite et kaolinite ont pu etre traites par simple frottement sur support souple. La preparation de poudre par raclage ou abrasion n’est pas attestee en l’etat actuel des connaissances. Les fonctions des matieres colorantes et les modalites de leur utilisation, bien que difficiles a apprehender, semblent recouvrir des activites diversifiees, bien individualisees dans l’espace du site. En particulier, l’association entre des activites de travail des peaux et des matieres a fort pouvoir colorant a pu etre mise en evidence sur l’un des locus du site de Regismont-le-Haut (S56). La presence de matieres colorantes est egalement attestee dans un autre locus (S72), vraisemblablement davantage lie au traitement primaire des carcasses. Dans les deux cas, les prehistoriques ont pu exploiter l’hematite pour son intense pouvoir colorant a des fins qu’il n’est pas possible de restituer precisement, compte tenu de la destruction complete des supports organiques qui s’offraient a d’eventuelles colorations intentionnelles (peau, vetement, outils, etc.), mais l’exploitation du pouvoir siccatif (pour preserver les matieres organiques et assainir les sols) et abrasif (pour le travail de l’os et des peaux, par exemple) de matieres colorantes dans un but technique est tres probable.