La satire libre en s’affranchissant de la stricte référence horatio-juvénalienne et en se structurant autour d’un moi poétique, distant, critique voire indigné face à un monde en devenir joue, durant la première modernité, un rôle important dans l’émergence d’une écriture de l’actualité qui conduit au cours du XVIIe siècle à l’apparition de la presse périodique. Pour réfléchir aux rapports entre les supports de l’information dans la première modernité et les écritures satiriques ou militantes, l’expression de fake news d’abord ressentie comme incongrue peut être particulièrement utile, car elle a l’intérêt, alors que nous sommes a priori peu sensibles à leur proximité et à leurs liaisons, de rapprocher des pratiques contemporaines aussi différentes que « l’article de presse erroné », « la publication orientée », « l’appeau à clics » et « le pastiche humoristique ». Avec le rapprochement de ces phénomènes jugés hétéroclites, il devient envisageable de penser de manière coordonnée trois aspects lisibles dans les phénomènes d’échange et d’hybridation entre les occasionnels et les libelles durant la première modernité. Comme les fake news qui désignent souvent l’information adverse sous les coups de clavier énervés des faiseurs numériques de tout aussi fausses nouvelles, le libelle est toujours pris dans un réseau de libelles dont le moteur d’expansion est l’indignation face aux impostures ennemies. Il imite les écritures médiatiques en se nourrissant de la rumeur et donne lieu à des démystifications qui sont aussi souvent des critiques des codes nouveaux de l’actualité telle qu’elle se donne à lire dans les occasionnels ; par bien des aspects, cette critique participe, en les travaillant, à la fixation de ces codes. Cette satire de l’actualité orientée ou militante prend des formes qui peuvent s’abstraire des enjeux partisans ; il est parfois difficile, comme aujourd’hui avec certains sites Internet ou comptes de réseaux sociaux satiriques, de faire la part entre des écritures engagées inventives et des jeux d’esprit plus libres. Plus profondément, l’esthétique « satyrique », grotesque (pour l’ensemble de cette première modernité) ou encore burlesque (pour la fin de cette période) pourrait engager un exercice plus global de l’incrédulité contre les fondements religieux et politiques de la société d’Ancien Régime. Par sa dimension métaréflexive, par sa grande diversité liée aux nombreuses hybridations avec les écritures de l’actualité, par ses oscillations entre un rire partisan et les jeux libres de l’esprit en fonction du goût du public et des intérêts des acteurs économiques de l’édition, le libelle diffamatoire offre décidément une figure changeante bien proche des réalités labiles auxquelles renvoie l’idée de fake news ; et en retour, il invite à ne pas rejeter hâtivement aujourd’hui tel ou tel aspect de cette nébuleuse, sans doute plus homogène dans ses jeux d’attraction qu’il n’y paraît.
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