Le bassin de l’Yonne et le bassin amont de la Seine voient l’installation, entre 4700 et 4300 av. J.-C., d’une série de cimetières comprenant des «enclos » géants, qu’aucune manifestation funéraire ne viendra ensuite égaler. Ils prennent place au sein de la culture de Cerny, dernier avatar régional du courant de néolithisation danubien, mais ne sont pas présents dans toute son aire d’extension. Le gigantisme et le faible nombre de sépultures en jeu ont rapidement conduit à une lecture hiérarchique de ces nécropoles : une nouvelle élite sociale monopolise le pouvoir, et son emprise sur la société est suffisamment forte pour que ses privilèges soient héréditaires. Nous nous sommes attachés à dépasser cette interprétation, en revenant sur l’identité des défunts et sur l’idéologie sous-tendant une telle manifestation. Les nécropoles sont construites sur un principe d’opposition et d’association, selon deux modèles. Au coeur du modèle principal on trouve un sujet doté d’un énigmatique objet en os, «l’homme à la tour Eiffel » , distingué mais associé à un «chasseur » équipé en archer. Plus âgé et situé au centre du dispositif, le premier est prééminent. Ces deux individus, les seuls dont la présence est systématique dans ce modèle, forment le noyau du module élémentaire de ces nécropoles, associant deux monuments parallèles morphologiquement apparentés mais distincts par leurs dimensions et les détails des aménagements. La nécropole est donc une association de plusieurs modules élémentaires. Le sexe joue un rôle structurant : dans le modèle principal, les tombes confèrent un sexe masculin aux deux monuments. Les femmes ne sont présentes qu’en périphérie des monuments ; de même que certains jeunes enfants, elles ne semblent jouer qu’un rôle de «comparses » dont la présence n’est pas obligatoire. Le second modèle, reconnu plus ponctuellement et dont la compréhension reste partielle, associe un monument masculin à un monument féminin. Les femmes ont cette fois un statut équivalent à celui des hommes, et aucun sujet ne se démarque des autres. La dualité de l’organisation funéraire se retrouve enfin dans l’idéologie funéraire. Dans le Cerny, le rare mobilier des tombes renvoie à la chasse (matériel d’archerie) et au monde sauvage (supports de l’industrie osseuse et de la parure). La confrontation avec les cultures voisines du Mittelneolithikum rhénan, qui présentent des tombes très semblables à celles incluses dans les monuments Cerny et qui constituent là de la même façon les dernières manifestations danubiennes, est éloquente. Le mobilier abondant exalte cette fois-ci l’agriculture et le monde domestique. À l’échelle culturelle, on retrouve donc le principe d’opposition et d’association : la chasse et l’agriculture s’opposent et se complètent… Le principe de reproduction est essentiel pour comprendre l’organisation sociale. Les nécropoles monumentales nous offrent cette opportunité, et nous permettent notamment d’affirmer que tel sujet est équivalent à tel autre au sein d’une nécropole, ou d’une nécropole à l’autre. En l’état, les nécropoles monumentales du milieu du Ve millénaire correspondent aux plus anciens groupes humains pour lesquels on peut identifier des statuts diversifiés et répétitifs.