Le « peuple oublié » (the forgotten people), telle est l’image qui collait aux Métis du Canada au tournant des années 1970. Il s’agit d’une époque cruciale où de jeunes intellectuels métis de l’Ouest canadien amorcent un long processus de réhabilitation de leur passé et de remise en question d’une historiographie canadienne qui les dépeint jusqu’alors comme des insurgés demi-sauvages et des menaces directes au développement du Canada moderne. En effet, suite à leur soulèvement en 1885, à l’intervention militaire des forces canadiennes et à la pendaison de leur leader politique, les Métis ont été, dans une large part, et pour la majeure partie du XXe siècle, relégués aux marges géographiques et sociales de l’ensemble canadien. À l’heure de la réconciliation nationale et du renouvellement des relations de l’État avec les peuples autochtones, cette réaffirmation métisse est certes dans l’air du temps. Elle s’accompagne toutefois d’un effet secondaire. À l’ombre de cette réalité métisse de l’Ouest, se multiplient aujourd’hui des communautés se réclamant de l’identité métisse et d’une histoire qui leur est propre, et cela bien au-delà du territoire des Prairies auquel est généralement associé cet espace identitaire au Canada. Ces revendications soulèvent des défis relativement à la définition des Métis comme peuple autochtone : d’une part, les communautés d’affirmation récente souffrent d’une invisibilité politique (reconnaissance) qui n’a d’égale qu’une certaine invisibilité historique (rareté des traces documentaires); d’autre part, ces revendications remettent profondément en question les représentations historiques et géographiques sur lesquelles reposent les processus d’identification de l’autochtonie. Cet article propose un nouveau regard géo-historique sur la question métisse dans l’Est, sensible aux jeux d’échelle et à la pertinence des preuves indirectes dans la construction des savoirs géographiques. Nous tirons profit d’une vingtaine d’années d’expérience en recherche fondamentale sur les questions métisses au Canada et d’une recherche plus appliquée découlant de notre rôle à titre de témoin expert pour une cause judiciaire au Québec.
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