Abstract

Conformément à une tradition faisant des sujets manifestant un fonctionnement psychopathique des êtres moralement aveugles, voire moralement morts, les discussions ayant trait à leur agentivité morale ont pendant longtemps jugé subsidiaire l’analyse des mécanismes volitifs et conatifs, pourtant essentielle pour comprendre leurs agissements immoraux. Partant plus spécifiquement du décalage qui semble, au regard de certaines données récemment publiées, s’opérer chez ceux présentant ce type de personnalité entre jugements moraux et choix moraux, nous proposons dans cet article de discuter tour à tour les théories susceptibles de venir expliquer ce fossé qui sépare ce que le psychopathe reconnait (ou peut, d’une manière générale, reconnaitre) et ce qu’il fait. Après avoir présenté l’hypothèse – problématique en plus d’un sens – en faveur d’une faiblesse de la volonté associant la psychopathie à l’acrasie, nous exposons les apports respectifs des conceptions rationalistes et néosentimentalistes, avant d’interroger le présupposé qu’elles partagent avec les théories de l’incontinence psychopathique. Nous argumentons en effet que chacune de ces trois positions tend implicitement à octroyer à ces individus dyssociaux une propension à recourir à une certaine forme d’activité délibérative peu étayée sur le plan empirique. Une discussion resserrée autour des caractéristiques prudentielles relevées dans la psychopathie nous conduira au contraire à défendre l’idée selon laquelle l’immoralité de ceux qui en sont atteints n’est, dans la plupart des cas, qu’un effet collatéral d’un manque d’appétence pour le processus d’autoévaluation réflexive. Et nous verrons qu’il y a de fortes raisons de croire que cette irréflexivité – qui rend compte d’un grand nombre de facettes du mode d’existence de la conscience psychopathique tout en restant compatible avec les principaux modèles explicatifs aujourd’hui privilégiés pour éclairer les décisions morales qui s’en dégagent – est directement liée à la vie affective (extrêmement pauvre) du psychopathe. Nous terminons en avançant que ce lien entre déficit émotionnel et carence réflexive fait apparaitre de nouvelles perspectives pour penser les différents types de profils moraux retrouvés au sein des diverses formes de psychopathie que nous suggérons de répartir le long d’un continuum sur lequel s’étendent plusieurs niveaux (ou degrés) de déficience expérientielle.

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