Abstract

Thomas d’Aquin n’a pas simplement écrit une somme « contre » les gentils ( contra Gentiles), mais aussi et surtout une somme « pour » les gentils ( pro Gentilibus ). La raison naturelle, unique recours pour les mahométans et les païens lorsqu’il n’y a pas d’Écriture en commun (contrairement aux juifs et aux hérétiques), n’est pas que le lieu vertical de l’accès à Dieu ; elle désigne aussi le topos horizontal d’une communauté d’humanité capable de nous rassembler. La « raison » hier (Thomas d’Aquin) joue le rôle de la « finitude » aujourd’hui (Heidegger) – à savoir ce qui fait notre « en commun ». Telle est l’unique perspective d’une apologétique qui ne se tiendra plus dans une sorte de « transcendance de surplomb » (Merleau-Ponty), comme si l’absolu était immédiatement donné. On cessera alors d’opposer « métaphysique » et « théologie », dans un discours prétendument pur et faussement recherché. C’est à transformer la tradition plutôt qu’à la dépasser que nous convie la leçon du concile de Nicée (325). Le « c’est-à-dire » de la même substance du Père ( homoousios ) traduit bien le biblique en hellénique, plutôt qu’il ne tente de sortir de l’hellénique comme tel. Ainsi, le fameux « ce que tous nomment Dieu » ( et omnes dicunt Deum ) à la fin de chacune des cinq voies de Thomas d’Aquin indique moins l’idole d’un Dieu conceptuel à dépasser, que l’icône d’un Dieu rationnel qui, dans sa kénose, habite aussi notre propre nature pour la transformer. De la théo -logie où « seul Dieu parle bien de Dieu » (génitif subjectif), on passera donc à la théo- logie où « l’homme peut aussi, et en partie au moins, parler de Dieu » (génitif objectif). Un nouveau rapport de la métaphysique à la théologie s’instaure ici, capable d’initier une autre relation du croyant au monde.

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