Abstract

Abolir l’esclavage n’a jamais signifié pour le gouvernement français renoncer à l’économie de plantation, ni à son corollaire : disposer d’une main d’œuvre contrainte. Ainsi, quatre ans après l’abolition de 1848, il met en place un système, subventionné par l’État, d’introduction dans ses colonies de travailleurs et travailleuses, originaires d’Inde, de Chine et d’Afrique, sous contrat d’engagement non résiliable de plusieurs années. Dans ce cadre, l’engagisme africain, mis en place entre 1854 et 1862, occupe une place inédite puisqu’il relève de pratiques propres à la traite d’êtres humains. De fait, 93 % des personnes recrutées sur le littoral africain pour les colonies françaises de la Caraïbe le sont au moyen du « rachat de captifs », autrement dit ils sont achetés pour être forcés à devenir engagés. Ainsi, 51 % des 1 809 Africain.es engagé.es en Guyane le sont-ils au moyen de ce mode de recrutement-engagement. Par ailleurs, la part des individus de sexe féminin est minime (14,5 %). Loin d’une coïncidence, ces deux caractéristiques – fort déséquilibre du sexe-ratio et mode de recrutement-engagement employé – sont fortement articulées.Cet article interroge ce que change le genre des individus engagé.es à leurs situations de travail et, plus généralement, à leurs vies d’engagé.es. Pour cela, il s’intéresse à la fabrique initiale du déséquilibre de genre, qui est au cœur même des textes dessinant les contours de l’engagisme africain guyanais ; puis aux mécanismes par lesquels ce déséquilibre s’accentue dans la phase du recrutement malgré des tentatives de régulation de la part des autorités impériales et coloniales. Enfin, il appréhende les mécanismes qui ont infériorisé les femmes, mais aussi certains hommes, tant dans les conditions de leur engagement qu’une fois mis.es au travail par leur engagiste. Cet article met ainsi en exergue que selon son genre et son statut pré-engagement les conditions de vie et de travail sont très différentes. Les individus de sexe féminin subissent de plein fouet ces mécanismes d’infériorisation, du fait qu’elles sont tout à la fois « femmes » et « rachetées ».

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