Le débat anti-aliéniste français au xixe siècle : une campagne de presse

Abstract

Resume Objectif A la frontiere de l’histoire des idees et de l’histoire de la psychiatrie, cet article etudie la genese de ce qu’on appellera plus tard l’anti-alienisme ou l’antipsychiatrie au xix e siecle. La presente etude cherche a determiner comment se deroule cette periode de perturbation dans la profession a l’interieur meme des asiles en prenant comme point de depart le point de vue des patients, les alienes eux-memes. Methode Le corpus s’appuie, pour ce faire, sur deux revues francaises a tendance anti-alieniste entierement editees et redigees par les alienes des asiles de Bicetre et de Charenton : L’Anti-Alieniste et Le Glaneur de Madopolis. Suivant le corpus donne, l’article est divise en deux parties distinctes, consacrees a chacun des journaux. La premiere se penche sur le journal des alienes de Bicetre, L’Anti-Alieniste, dont cinq numeros, au moins, paraitront entre le 1er avril et le 1er aout 1893. La seconde partie est consacree au journal des alienes de Charenton, Le Glaneur de Madopolis, dont la memoire ne subsiste que par les travaux de l’obscur alieniste Henri Sentoux (1835–1880). Resultats La premiere partie, consacree au journal des alienes de Bicetre, L’Anti-Alieniste montre comment, malgre l’abrogation (non officielle) de la loi de 1838 qui survient au cours de la Troisieme Republique, le sentiment anti-alieniste, qui fait echo a celui de Leon Gambetta et Joseph Magnin, persiste chez les alienes. Quant au journal des alienes de Charenton, Le Glaneur de Madopolis, publie pendant la seconde moitie des annees 1860, il nous plonge au cœur de la polemique anti-alieniste qui a cours a l’epoque en France. Discussion Les propos des principaux acteurs de ce charentonesque debat anti-alieniste, qui des journalistes (Georges Maillard, Louis Jourdan et Gustave Isambert), qui des alienistes (Henri Sentoux), qui des alienes (les redacteurs du Glaneur), sont ainsi mis de l’avant de facon a illustrer comment le debat depasse largement le cadre du politique et de l’institution asilaire. Conclusion La rehabilitation de la medecine alieniste par l’intermediaire de ceux qui en beneficient, les alienes, est certes originale et remarquable. Mais elle genere quelques objections. Citons parmi celles-ci la critique adressee a Sentoux qui repose sur le fait que les extraits qu’il a recueillis ne sont peut-etre pas representatifs de l’ensemble du journal et que les parties les plus derangeantes pour la profession, les plus ironiques peut-etre, ont ete laissees de cote. Consciemment ou inconsciemment. Qu’a cela ne tienne, on sent bien qu’une autre question interesse Sentoux en celle des qualites intrinseques du Glaneur de Madopolis, qu’il developpera peu apres dans sa these, De la surexcitation des facultes intellectuelles dans la folie. Le journal a tout a voir en effet avec la petite histoire de la folie et du genie en litterature.