Abstract
Toutes les études sur le shugendō s'accordent sur l'importance de la montagne dans la pensée et la pratique religieuse japonaises et mettent en avant la croyance selon laquelle elle est le domaine des kami et des esprits des morts. Le culte des montagnes est trop souvent présenté comme un phénomène universel et immuable. Or la perception religieuse de la montagne au Japon a considérablement évolué au cours du temps et a de fait conféré à la montagne une véritable polyphonie de significations, de valeurs et de symboles. L'auteur s'efforce en conséquence de décrire et d'analyser les transformations majeures de l'image de la montagne dans l'imaginaire japonais. S'appuyant sur les témoignages fournis par la littérature, l'art et la pratique religieuse, il distingue trois grandes périodes (kodai, chusei et kinsei). Du VIIe au IXe siècle (époque de Nara et début de l'époque de Heian), la montagne est perçue comme un espace « hétérotopique » (ikai), domaine non seulement des kami, mais aussi des tengu, des « hommes des montagnes » (sanjin) et de diverses autres créatures fantastiques (chimi). C'est en même temps un « autre monde » (takai), le séjour des morts et le lieu où pratiquent les ascètes pour obtenir des « pouvoirs ». Du Xe au XIIe siècle (fin de l'époque de Heian), des changements importants se produisent dans la cosmologie japonaise, avec notamment le développement de la notion de Terre Pure. Dans ce contexte, la montagne est avant tout un espace immaculé, digne d'une Terre Pure qui devient un lieu relevant de ce monde et accessible dès cette vie. Du XIIe siècle au XIVe siècle (époque de Kamakura), la montagne en vient à être perçue comme une étape transitoire entre l'ici-bas et l'au-delà ; elle ne relève plus de ce monde mais constitue un univers à la fois distinct et distant. Les ascètes montagnards eux-mêmes sont désormais perçus comme des manifestations des kami et des Buddhas : bien qu'ils ne vivent plus en ce monde, ils sont toujours prêts à s'y manifester pour guider les humains vers la Terre Pure. Du XIVe au XVIe siècle (époque de Muromachi), toutefois, l'idéal de la Terre Pure semble céder le pas à l'idée que les morts restent « en ce monde », où leur bien-être dépend de l'intercession rituelle de leurs descendants. On en revient ainsi — du moins en apparence — à la conception de la montagne, et plus précisément du cimetière de montagne, comme séjour des morts. Cette conception a eu une grande influence sur la pratique des shugenja, laquelle n'est plus l'étape préparatoire à une apothéose en Terre Pure, mais vise à la purification physique et mentale — en ce monde — de l'adepte. C'est à cette époque que se développent les rites de renaissance symbolique tels que l'ascèse dite des « dix plans » ou jikkai shūgyō, qui constituent encore l'essentiel de la pratique des shugenja contemporains.
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