Depuis les années 1970, l’étude des collections lithiques préhistoriques a vécu en France une profonde modernisation. André Leroi-Gourhan, d’abord intéressé par les techniques traditionnelles, prit pour objectif d’appréhender les activités techniques menées dans un site par un groupe préhistorique, dans une perspective ainsi dénommée « palethnologique ». Il a aussi promu la notion de chaîne opératoire introduite auparavant par Marcel Mauss. Mais ce sont les expérimentateurs de la taille des roches dures, F. Bordes et J. Tixier, qui vont permettre d’enrichir cette notion de ses applications concrètes. J. Tixier, surtout, stabilise la terminologie de la pierre taillée, et systématise la « lecture technologique » qui permet de reconstituer mentalement le déroulement du façonnage d’un outil ou du débitage d’un nucléus. Il introduit aussi une distinction fondamentale entre « méthode » (la démarche -l’agencement des enlèvements successifs- suivie pour atteindre le but de la chaîne opératoire : un type ou une classe de produits) et « technique(s) » (qui réfère aux modalités pratiques d’exécution des enlèvements).
 Sur cette base, dès 1980, Tixier et collègues introduisent les notions d’économie des matières premières, du débitage et de l’outillage, corollaires de la notion de règles de gestion. La notion d’intention -entre débitage, supports et (certains) outils- apparaît également, fondant le postulat selon lequel les modalités de la taille sont cohérentes avec la morphologie des produits recherchés. C’est ce postulat que suit la démarche française en technologie lithique : percevoir -comprendre- les intentions de la production lithique, avant de classer et de mesurer.
 Cette démarche est ensuite appliquée à la collection lithique de Yokomichi (Dept de Yamagata, NE de Honshu), à débitage laminaire mais antérieure à la production de lamelles, ainsi datable d’environ 18 000 BP. On perçoit d’abord qu’y coexistent deux débitages laminaires : l’un de lames légères et rectilignes à petit talon, tirées de nucléus étroits, et l’autre de fortes lames à talons épais débitées de nucléus plus larges. Parmi les outils retouchés, ce sont les quelques « couteaux de Sugikubo » (des pointes à dos élancées de profil rectiligne) dont les supports correspondent à l’intention première du débitage étroit, quelques autres outils étant réalisés sur des supports de second choix. Un tel couteau de Sugikubo, dans une collection similaire, présente une fracture à longue languette inverse qui suggère fortement qu’il s’agit en fait, au moins pour partie, de pointes de projectile. Le débitage large, lui, avait pour intention première l’obtention de grandes lames pointues, très difficiles à réaliser, tandis que ses nombreux produits de second choix et d’aménagement restent bruts (utilisables comme couteaux) ou se retrouvent dans les « burins de Kamiyama » (en fait, de très probables couteaux ravivés comme les couteaux de Kostienki).
 Une expérimentation montre que les deux débitages sont réalisés par percussion directe à la pierre tendre, mais selon des modalités distinctes : par percussion tangentielle pour les lames légères à petit talon, par percussion en retrait pour les lames plus fortes à gros talon.
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