bizarres, au cours desquelles Gabriel demeure muet, le transfert, “cet accélérateur de particules” (208) qui met au jour les haines les plus tenaces et les désirs les mieux enfouis, opère son œuvre libératrice. Même s’il n’est pas tout à fait guéri, il a retrouvé sa voix et Monte-Cristo lui a fait découvrir un père. Gabriel vit désormais avec ses compagnons Capa et le Géant. Mais sa souffrance intérieure persiste et sa passion pour Mathilde le mine. Il entame une autre analyse, cette fois avec une femme sensée et pondérée, pour surmonter ses obsessions et débloquer son inertie à reprendre ses études (troisième “carnet”). C’est alors qu’il rencontre le vieux Tragger, ancien légionnaire, empreint de violence sauvage, qui se complaît à jouer au militaire endurci pour refouler l’horreur de ses expériences de guerre et son chagrin de la mort d’êtres chers. Chasseur de gros gibier, il entraîne Gabriel dans une traque au cerf qui bien qu’avortée déclenche sa “confession ”. Devenu psychiatre, Gabriel a réussi à faire parler Tragger et ce faisant à le soulager. Il lui conseille une cure psychanalytique pour guérir son mal-être. Jean-François Rouzières, lui-même psychanalyste, révèle dans ce premier roman sa profonde connaissance de la psyché humaine. Il exprime avec justesse dans un style saccadé et percutant, les atrocités de la guerre et leurs séquelles psychiques, la complexité souvent douloureuse des relations humaines, mais aussi la force de l’amitié et la possibilité de l’amour véritable. Cependant, si le héros après plusieurs années d’analyse particulièrement onéreuses réussit sa “prise de conscience”, l’auteur n’en brosse pas moins un portrait moqueur des méthodes du “grand maître lacanien” (114) au patronyme évocateur. Fairfield University (CT) Marie-Agnès Sourieau SIJIE, DAI. Trois vies chinoises. Paris: Flammarion, 2011. ISBN 978-2-0812-4050-6. Pp. 141. 16 a. Avant d’immigrer en France, Dai Sijie, issu d’une famille chinoise éduquée, avait été forcé par la Révolution culturelle de Mao Zedong de passer plusieurs années de “rééducation” dans la région rurale de la province de Sichuan. Après le succès de Balzac et la petite tailleuse chinoise, son roman en grande partie autobiographique , il n’est pas étonnant qu’il soit retourné, sous forme de nouvelles cette fois, à une critique sévère de son pays d’origine. Dans Trois vies chinoises, ce n’est plus l’impardonnable régression du régime de Mao que Sijie condamne, mais la Chine actuelle où une population rurale est sacrifiée aux froides exigences des puissants et de la technologie moderne. Trois vies chinoises, trois nouvelles qui dépeignent, de façon poignante, la désolation de misérables vies sans issue. Les trois histoires se passent au début du vingt-et-unième siècle, dans le même endroit surnommé ironiquement l’île de la Noblesse. Autrefois couverte de cultures, l’île est devenue un dépotoir de déchets électroniques et ses habitants sont, pour la plupart, employés au recyclage. Dans chaque histoire, un personnage est atteint d’une terrible maladie provoquée par les contacts avec les résidus électroniques constamment manipulés. La première nouvelle intitulée “Ho Chi Minh” oppose la cupidité cruelle d’un directeur d’une cantine de prison à l’innocente crédibilité d’un gamin de douze ans souffrant, comme plusieurs autres enfants sur l’île, de progéria, cette horrible condition qui fait d’un enfant un vieillard en quelques années. Acheté à sa tante, vieille muette pauvre et rapace, par le directeur de la cantine, le jeune Reviews 1209 garçon s’imagine être choisi pour devenir acteur de cirque. Baptisé Ho Chi Minh par son nouveau maître, il apprend religieusement le rôle qu’on lui fait répéter et qui le mènera tout simplement à prendre la place d’un vieux gangster riche condamné à mort, le jour de son...
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