La critique aborde rarement les questions d’interculturalite en termes de confluence. En effet, les chercheurs ont tendance a recourir a la theorie du chaos (Glissant, Benitez-Rojo), aux tropes oceaniques (Gilroy, Brathwaite) et aux phenomenes langagiers en tant que tels (Chamoiseau, Bhabha) pour parler de ces sujets. C’est en partie etrange, tout d’abord parce que nombre de villes, sur tous les continents, derivent leur cosmopolitisme de leur fondation sur les rives de fleuves et les littoraux. Qui plus est, le suffixe -fluence et les mots formes a l’aide de celui-ci peuvent lier, de maniere metaphorique, phenomenes fluviaux et structures linguistiques: la metaphore elle-meme peut etre decrite comme confluence d’un syntagme avec un paradigme inhabituel. Par consequent, si la confluence de deux fleuves jaillissant de lieux distincts potentiellement peuples par des groupes culturels differents peut etre transformee en metaphore, alors il est probable que la confluence topographique ainsi traduite devienne une manifestation tropologique de l’interculturalite: topos fluvial et tropos langagier, les tropiques et les tropes, se meleraient en ce que je propose d’appeler une tropicalite. Cependant, malgre le fait que la critique s’appuie rarement sur ces metaphores fluviales, les romanciers Wilson Harris et Fred D’Aguiar font preuve, dans leurs œuvres respectives, d’une exceptionnelle prise de conscience du potentiel poetique decoulant d’une observation de la creolisation depuis l’angle de la confluence : il est interessant, alors, de noter que les deux auteurs en question sont d’origine guyanaise, puisque « Guyane » signifie « territoire inonde » ou « territoire plein d’eau » et servait, dans une langue indigene et avant de definir le territoire en question par son vaste reseau fluvial, a designer un affluant de l’Orenoque. C’est d’ailleurs dans ces eaux fluviales que Harris, en tant qu’explorateur et avant de devenir ecrivain, a puise son inspiration pour ecrire des romans qui, dans la generation d’ecrivains guyanais lui succedant, influenceraient profondement Fred D’Aguiar. Cette influence suggere aussi qu’en plus de la metaphore et de la topographie, l’intertextualite pourrait-etre percue comme une troisieme forme de confluence, et ce sont ces trois types de confluence que je propose d’etudier dans le dernier roman de Fred D’Aguiar, intitule Children of Paradise (2014), et dans le premier roman de Wilson Harris, Palace of the Peacock (1962), en pretant une attention toute particuliere a la facon dont ces deux romans eux-memes forment une confluence definie par des textures romantique et Orphique communes qui, a leur tour, laissent a penser que le romantisme et le realisme merveilleux pourraient, en fait, etre des traductions analogues d’une meme perception Orphique de l’environnement.