En Amazonie, la conservation de la nature s’oriente vers le gouvernement des hommes : au nom de la biodiversite, on encadre des populations marginalisees sur des territoires peripheriques. Initialement concues comme des outils d’interdiction, les aires protegees accompagnent aujourd’hui la decentralisation. Leurs nouvelles missions de democratie locale et de developpement economique participent d’une evolution globalisee de l’administration publique, depuis une logique de « souverainete » vers un registre de « gouvernementalite ».Par la comparaison franco-bresilienne des processus de reforme de l’Etat, cette these expose dans un premier temps comment la norme environnementale, conferant une force scientifique aux principes de diversite et de subsidiarite, incite la « recomposition liberale » d’Etats historiquement centralises. Actualisant un mythe de self-government, l’Environnement dessine un nouveau « contrat social » : un projet de gouvernance morale, territorialisee, contrebalancant les inegalites par la federation communautaire. Dans un second temps, l’etude historique de vastes aires protegees montre comment la conservation appuie le redeploiement etatique. En Amapa et en Guyane francaise, elle succede aux strategies regaliennes de maintien sur une Amazonie eloignee, alternant tutelle paternaliste et delegation aux elites locales. Sur ces territoires « anormaux », ou les ressources naturelles structurent de forts interets economiques, les institutions de conservation tentent de reconcilier differentes legitimites. Rassemblant communautes locales, responsables publics et acteurs economiques, leurs gestionnaires animent des espaces de gouvernance qui accompagnent l’autonomisation regionale. Ces arenes de concertation cherchent a contenir le developpement des ecarts sociaux et politiques en creant de nouvelles mobilites sur les territoires. Enfin, l’ethnographie comparee des jeux d’acteurs, des techniques d’enrolement et des conflits emergeant, montre la nature securitaire de ces dispositifs pour les Etats centraux. La protection de l’Environnement justifie un mode de gouvernement frugal, multipliant les contre-pouvoirs et l’enchâssement des surveillances entre acteurs d’un meme espace. En incitant l’emergence d’une « societe civile » dans des arriere-pays sous-administres, elle cree de nouvelles concurrences et diffuse une rationalite manageriale de responsabilisation. Si l’analyse des subjectivations revele que ces « coercitions souples » contraignent les forces politico-economiques a ajuster leurs strategies, elle montre aussi la difficulte de ces dispositifs a satisfaire la « demande d’Etat » venue des populations. La comparabilite des experiences guyanaises et amapaenses interroge alors l’evolution du « modele francais », de plus en plus dependant d’une « citoyennete proactive », que seules les portions privilegiees des territoires voient emerger.
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