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Topographie éditoriale du Cid, Paris, 1637

Début janvier 1637, le succès du Cid encouragea la librairie parisienne à publier au plus vite la pièce de Pierre Corneille. On connaissait la chronologie et l’accord passé entre les deux libraires Augustin Courbé et François Targa. Mais il restait à inscrire le circuit éditorial dans la topographie parisienne. Nos recherches ont permis d’établir un cadastre précis de l’édition du Cid au premier trimestre 1637. Le parcours commença à la Grande Chancellerie, située dans l’hôtel du chancelier Pierre Séguier, pour l’octroi du permis d’imprimer. Les deux libraires s’accordèrent ensuite sur le partage du privilège chez le notaire Charles Sadron, logeant à l’enseigne de l’Écrevisse rouge, rue de la Vieille-Draperie. Puis, chacun de leur côté, les éditeurs firent imprimer une moitié des feuilles. François Targa sollicita son frère Pierre, qui habitait avec lui la maison de la Cage, rue Saint-Victor. Augustin Courbé, locataire de la Cuillère de bois, rue Saint-Hilaire, travailla avec l’atelier de Nicolas Gasse situé tout près, à l’entrée de la Cour-des-Bœufs. Enfin les exemplaires furent débités au Palais de la Cité dans les boutiques des deux libraires, dont la place exacte et les dimensions sont enfin dévoilées. L’arpentage effectué restitue ainsi de manière vivante les faits et le réseau des acteurs dans l’espace du livre parisien.

Relevant
Des livres jaunes aux livres en rose et bleu ?

Les pratiques de narrations orales de contes populaires arabes, qui ont connu un déclin progressif aux XIXe et XXe siècles, sont marquées par l’affirmation d’une distinction de genre forte entre des récits propres aux hommes et d’autres aux femmes. À partir du milieu du XIXe siècle, l’essor de l’imprimerie au Proche-Orient conduit à une transposition de ces récits de l’oral vers l’imprimé, qui se fait selon deux modes. Des éditions sont, d’une part, produites à partir de manuscrits, tandis que d’autres le sont à partir d’un matériau oral, dont la langue est en général corrigée. Cet article étudie la manière dont le passage d’un médium à un autre a affecté la distinction de genre associée aux narrations orales, qui a pu se manifester dans le choix des textes publiés et les modalités de leur transposition. De ce point de vue, l’édition de contes populaires arabophones a suivi plusieurs directions. Elle a tout d’abord été marquée par la publication de contes associés à des narrations et des sociabilités masculines dans de petits recueils bon marché ainsi que celle de grandes œuvres du patrimoine oral masculin adaptées de manuscrits. Cette seconde forme a majoritairement perduré, en parallèle de l’émergence d’éditions de narrations féminines dans des contextes politiques et culturels spécifiques.

Relevant
Savantes ou dilettantes ?

Entre la révolution de 1789 et celle de 1848, les femmes représentent en moyenne 3 à 5 % des emprunteurs de la Bibliothèque nationale. Cette présence discrète mais continue témoigne de l’existence d’un public féminin régulier dans ce lieu de savoir au rayonnement national voire européen. Qui étaient ces lectrices, que lisaient-elles et à quelles difficultés matérielles ou symboliques étaient-elles confrontées ? Entre des autrices, des enseignantes, des journalistes, des traductrices ou des portraitistes, des étrangères, des lectrices ordinaires ou célèbres, occasionnelles ou « grandes lectrices », la variété de profils souligne que, déjà, les femmes investissaient de multiples domaines de la culture. Leur présence, tout comme le catalogue des livres empruntés, remet en cause le préjugé de la lectrice dilettante pour dessiner les contours si ce n’est d’intellectuelles, du moins de femmes travaillant avec et sur les livres. À partir des archives administratives de la Bibliothèque nationale, et plus particulièrement des registres de prêt, cet article propose d’interroger la fréquentation de la Bibliothèque par les femmes dans la première moitié du XIXe siècle, en articulant la question de l’accès aux savoirs livresques à celle de l’histoire d’une institution culturelle, invitant à écrire une histoire genrée des pratiques de lecture.

Relevant
Un devenir féminin de la poésie ?

La publication en 1820 des Méditations poétiques de Lamartine semblait introduire dans la France de la Restauration une voix féminine – parce qu’intime, souffrante et élégiaque – au sein d’un univers très viril de l’imprimé poétique. Qu’une véritable féminité poétique s’affirmât en ces années-là, beaucoup le pensaient, et ce sentiment fut renforcé par l’émergence d’une génération de poétesses aussitôt connues et reconnues. Cette place nouvelle du féminin s’inscrivait dans un contexte éditorial caractérisé par un accroissement de la concurrence. Dans le cadre de stratégies d’innovation de produit, certains libraires structurèrent un véritable marché de livres d’étrennes poétiques à destination des dames, et contribuèrent ainsi à la promotion commerciale de formes littéraires peu légitimes. À bien des égards, le grand recueil individuel de l’époque romantique s’inscrivait dans cette économie du livre d’étrennes, tant du point de vue matériel, commercial que littéraire, tout en produisant une rupture symbolique majeure puisque le féminin n’y était plus seulement un espace de réception, mais devenait aussi une instance de production. Le présent article propose donc d’interpréter la transformation de l’idée de poésie entre Lumières et romantisme comme le produit des mutations éditoriales de la période. Il en résulta une crise du modèle de virilité poétique hérité de l’âge classique : c’est bien à l’époque romantique que s’instaura une association entre poésie et féminité qui, loin de bénéficier aux femmes, perpétua paradoxalement les logiques de la domination masculine en ce domaine.

Relevant
Écrire dans les missions protestantes en Irlande, une histoire de genre(s) ?

Au XIXe siècle, une nouvelle figure, celle du missionnaire, apparaît dans la littérature anglaise. Cette présence témoigne non seulement du nouvel engouement pour l’évangélisation des peuples lointains qui suit les réveils protestants, mais aussi des rapports de genre de l’époque victorienne pensés au prisme de la doctrine de la « séparation des sphères », formulée et popularisée par l’écrivaine à succès Hannah More. Paradoxalement, tout en participant de ce que More nomme la « profession » des femmes, l’expansion missionnaire leur offre de nouvelles possibilités d’action dans la sphère publique. Ainsi, de même qu’on a pu voir les femmes participer à la culture pamphlétaire dans l’Angleterre du milieu du XVIIe siècle, la promotion de la Bible en langue vernaculaire favorise au XIXe siècle l’émergence d’autrices au sein de la mission. Par le jeu d’échelles entre le national et le local, cet article se propose d’examiner dans quelle mesure les engagements missionnaires des femmes leur donnent accès à de nouveaux espaces de visibilité et de gouvernance, leur permettant ainsi de s’affranchir des délimitations imposées par la société. Une dynamique d’affirmation de l’agentivité féminine est ainsi mise en lumière, les femmes renégociant leur rôle d’assistantes jusqu’à être pleinement reconnues comme autrices et à affirmer la supériorité de leurs publications sur la littérature grise des missions.

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