Abstract

1492 est une année clé pour l’Espagne : c’est celle de la fin de la Reconquista, avec la prise de Grenade, de l’expulsion des Juifs de la Péninsule, et du premier voyage de Christophe Colomb en Amérique. Tout au long du siècle suivant, l’Espagne fait face à une multitude de reconfigurations et cherche à se définir, avant tout, comme un royaume chrétien ; après la minorité juive, l’autre grande minorité religieuse du pays, celle des musulmans, doit alors choisir entre la conversion ou l’exil. A l’orée du XVIIe siècle, cependant, c'est un processus encore inédit qui se met en route : la monarchie décide d’expulser du territoire espagnol tous les morisques, c’est-à-dire les descendants des derniers musulmans du royaume grenadin qui se sont convertis au Christianisme de manière plus ou moins volontaire selon les cas et les régions. La mesure fait polémique : ce sont des Espagnols chrétiens que l’on prétend bannir. Selon des estimations récentes, ce sont 275 000 morisques qui prennent alors le chemin de l’exil. Pourtant, de ceux-là, beaucoup vont revenir en Espagne, malgré les décrets d’interdiction et les risques de sanctions : ils sont obligés de se cacher, de se faire discrets, et ils deviennent ainsi des clandestins dans leur propre patrie. Le phénomène des retours clandestins des morisques est amplement documenté par la critique ; nous en avons aussi des témoignages significatifs dans les textes législatifs de l’époque, ainsi que dans des œuvres littéraires. L’un des romanciers les plus connus de cette période, Miguel de Cervantès, s’empare de ce problème d’actualité dans la seconde partie, très attendue par le public, de son Don Quichotte. Au chapitre 54, en effet, l’un des personnages principaux, Sancho Panza, rencontre sur la route aragonaise un ancien voisin, Ricote, un morisque qui a dû quitter l’Espagne et qui est revenu clandestinement, à la recherche d’un trésor qu’il a laissé enterré et de sa famille. Ce travail cherchera tout d’abord à approfondir la figure de Ricote (de quelles façons les stigmates de l’exil et de la clandestinité se révèlent-ils en lui ? Comment, et à partir de quels éléments, son identité diffractée se reconfigure-t-elle ?), mais aussi à déterminer les enjeux de la mise en scène de la clandestinité par Cervantès, dans cette oeuvre de grande diffusion et de grand succès public : est-elle en mesure de proposer une autre vision de l’altérité morisque ? En quoi le personnage de Ricote se singularise-t-il par rapport à ses homologues littéraires, et qu’apporte cette vision du clandestin à la problématique morisque ? Enfin, dans quelle mesure cet épisode, qui fait de la question de la clandestinité sa pierre de touche, se constitue-t-il, paradoxalement, en une matrice au sein de laquelle se cristallise une nouvelle conception de la fiction, celle qui fera son chemin, après le Don Quichotte, sous la forme du roman moderne ?

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