Abstract

L’article explore le discours épistolaire des combattants français durant la Grande Guerre, et plus particulièrement les lettres rédigées sur le front de Verdun en 1916. Il montre comment, à travers une analyse ponctuelle d’éléments langagiers mais aussi culturels et historiques, ces lettres privées ont servi non seulement à communiquer des points de vue, des perceptions et des émotions personnelles, mais aussi à les justifier afin d’obtenir une certaine adhésion de la part des destinataires. L’analyse des représentations discursives permet d’effectuer une réflexion sur la mise en mots à partir de laquelle s’établit le sens profond du conflit pour les soldats des tranchées, et d’éclairer les raisons qui conditionnent leurs actes et leurs façons de penser. Dans cette perspective, on voit comment le discours privé des combattants du front de Verdun construit dans l’échange une image pour le moins surprenante et inattendue de l’ennemi, en l’occurrence du soldat allemand. On montre, par ailleurs, comment certaines représentations initialement charriées par les médias et les discours de propagande sont retravaillées et déplacées, et comment une identification entre les deux camps dans une souffrance et un destin communs mène à une justification, parfois implicite, du très combattu « rapprochement » entre les deux armées, même au cœur des combats. Une analyse approfondie du discours épistolaire permettra ainsi une meilleure compréhension du phénomène « fraternisation », dans le débat des historiens sur la Grande Guerre.

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