Abstract

Quand Jean Jardel, qui fut quelques mois le supérieur hiérarchique de Maurice Lagrange au secrétariat général de la vice-présidence du Conseil, passa en jugement après la Libération, l’accusation estima que les « tares de Vichy » seraient plus tôt apparues si le régime n’avait pas été servi par des hauts fonctionnaires de qualité, issus des élites républicaines d’avant-guerre. Lagrange ne fut pas jugé, mais cette analyse s’appliquait bien plus nettement à lui. Pendant deux ans, entre juillet 1940 et juin 1942, il avait en effet occupé à Vichy une fonction lui donnant un pouvoir d’autant plus considérable qu’il était discret. Sous le titre anodin de « chargé de mission au secrétariat général de la vice-présidence du Conseil », il fut le principal artisan de la mise au pas et de la tentative de pétainisation de la fonction publique. Il apparaît ainsi comme la cheville ouvrière, convaincue et assidue, de la mise en œuvre du statut des juifs dans l’État et de l’ultra-réactionnaire statut des fonctionnaires promulgué à l’automne 1941. S’il resta, pour des raisons aisément compréhensibles, muet sur le premier de ces dossiers, il fut plus disert sur le second. C’est ainsi qu’il publia dans la Revue des Deux Mondes , en trois livraisons étalées de janvier à juillet 1944, un long texte intitulé « L’État nouveau et les fonctionnaires ». Il y vantait ce qui lui apparaissait, avec la Charte du Travail, comme « le monument législatif le plus important de ceux qui ont été édifiés depuis juin 1940, le statut des fonctionnaires promulgué le 14 septembre 1941 ». Il y insistait sur la volonté du législateur de 1941 de restaurer pleinement la dignité de la fonction publique, présentée comme un des objectifs majeurs du texte : « le statut devait être pour les fonctionnaires, en même temps que la définition de leurs droits, le rappel de leurs devoirs : devoir pour les subordonnés d’obéir, mais aussi pour les chefs de commander ; ainsi la fonction publique devait-elle reprendre, aux yeux du fonctionnaire comme dans l’esprit public, le sens traditionnel de sa dignité ». Lagrange incarne, pratiquement à lui seul, le pétainisme d’État : il en était fier, regrettant seulement que les événements n’aient pas permis son entière réalisation. Il était temps pour lui, après la Libération, de quitter la scène politico-administrative française.

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