Abstract
Günter Kunert, un des auteurs de l’ex-RDA les plus connus et les plus critiques à l’égard du régime est-allemand, a eu recours au registre de la science-fiction afin de dénoncer le caractère totalitaire de cet État à travers des situations quasi archétypales de violence, de crise, d’oppression d’inspiration mythique et notamment biblique. Cette conjonction des thèmes propres au registre de l’anticipation et à l’univers du mythe a inspiré certains de ses meilleurs récits brefs. Elle lui a permis notamment d’établir une analogie entre l’optimisme scientifique du monde occidental au XXe siècle, en particulier celui de la RDA, et le caractère souvent prérationnel de la pensée mythique. Un des mythèmes récurrents de ses récits est la nostalgie du paradis perdu, celui que constituent notre planète et sa richesse naturelle peu à peu épuisée par la surpopulation et la surexploitation de ses ressources. On le retrouve aussi bien dans « Andromède hors saison », de 1976, où toute une population affaiblie par les pénuries attend d’émigrer vers de nouveaux horizons aux ressources prometteuses, que dans « Adam et Evam » (1984), où une guerre nucléaire éclair interdit à deux astronautes en vol géostationnaire dans l‘espace toute possibilité de retour sur Terre, ou dans « Bouteille à la mer » (1984) où l’épuisement des ressources de notre planète favorise l’émergence d’un régime totalitaire particulièrement inhumain. Dans ces trois récits, le mythème du paradis perdu s’associe à celui de l’exode et/ou de l’extermination, perspective monstrueuse à peine suggérée dans « Andromède hors saison » mais nettement affirmée dans le récit dystopique « Bouteille à la mer », où l’extermination des citoyens ensuite transformés en sources de matières premières ou d’énergie est soigneusement planifiée. Dans une perspective un peu différente, le récit « Adam et Evam » associe, sur un mode cocasse et presque farcesque, aux mythèmes bibliques de la chute et de l’exode ceux de l’apocalypse et de la création démiurgique de la femme à partir d’une côte d’Adam. L’échec de la mission impartie aux deux astronautes d’assurer la perpétuation et la survie de l’espèce humaine en transformant l’un d’eux en femme dans un but explicite de reproduction montre bien à quel point le mythe devient pour Kunert un instrument de subversion littéraire des plus sarcastiques.
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