Abstract

A partir des documents écrits divers, des sources orales, iconographiques et des observations sur le terrain, ce travail ambitionne d’analyser l’évolution de l’artisanat du cuir dans l’Extrême-Nord du Cameroun à travers le contexte de son développement, les mécanismes d’acquisition des peaux, de production, d’usage et de commercialisation du cuir et d’objets en cuir, de même que l’impact et les problèmes auxquels cette activité locale fait face. C’est entre les XIXe et XXe siècles que des foyers d’activité du cuir à une échelle importante se développent dans les localités de Maroua, Bogo, Mindif et Doumrou par des communautés kanouri et haoussa. Ces dernières qui ont migré au Nord-Cameroun à la suite du Jihad peul du XIXe siècle, développent le commerce et l’industrie traditionnelle avec plusieurs filières parmi lesquelles celle du cuir. Les peaux d’animaux tels que les bœufs, les moutons et les chèvres sont transformées en cuir selon des techniques qui font usage des produits prélevés de la nature pour la plupart. Les objets fabriqués sont les tapis de prière, les couvertures de Coran, les chaussures, les arsenaux de guerre, les cache-sexe et les harnachements des chevaux, destinés à la vente. Entre les années 1940 et 2007, l’artisanat du cuir de Maroua spécifiquement, connaît de nombreux changements dus à plusieurs facteurs. L’action des autorités coloniales françaises, l’avènement du tourisme et des ONG qui travaillent dans le secteur du cuir, la création des associations, des coopératives et des groupements d’initiative commune, ont contribué à changer le visage de cette activité tant du point de vue du tannage que de la fabrication d’objets en cuir. C’est ainsi que les filières du cuir ont été organisées, les modèles de produits fabriqués ont changé, s’orientant de plus en plus vers la civilisation occidentale, des structures de vente d’objets artisanaux ont vu le jour à l’instar du Centre Artisanal de Maroua en 1955 et du Complexe Artisanal en 2007. Dans les autres localités par contre, l’artisanat du cuir n’a pas connu d’influences notables. Les objets fabriqués sont restés presque les mêmes que ceux du XIXe siècle. Ces zones font davantage dans le tannage dont les cuirs sont acheminés vers Maroua. Du XIXe siècle à 2007, les objets en cuir sont vendus dans les marchés et autres centres de vente créés dans les localités d’activité du cuir et leurs environs, des zones de l’ex Émirat de l’Adamawa, dans la partie méridionale du Cameroun, dans d’autres pays d’Afrique et même d’Europe. Les populations locales, les étrangers résidant au Cameroun, les touristes et les populations d’ailleurs constituent la clientèle des artisans de l’Extrême-Nord. Les objets fabriqués servent aux usages multiples, à savoir vestimentaires, ésotériques, esthétiques. Dans les autres localités d’activité du cuir de l’Extrême-Nord, ce sont les Kanouri et les Haoussa qui détiennent depuis toujours le monopole de cette activité alors qu’à Maroua ce n’est plus le cas. Les changements qu’y a connus ce secteur ont contribué à briser le monopole ethnique et impliquer des acteurs d’origines diverses parmi lesquels se retrouvent même quelques femmes. Activité pourvoyeuse d’objets importants pour les populations, les artisans du cuir avaient par conséquent une place privilégiée dans la société au XIXe siècle et même pendant la colonisation française à Maroua. L’avènement des produits à caractère moderne qui ont remplacé peu à peu ceux de l’artisanat local, a affecté la considération sociale des acteurs du secteur du cuir. Malgré les préjugés développés autour du travail du cuir, il faut relever que dans la ville de Maroua par exemple, certains artisans de par les revenus qu’ils tirent de leur activité, bénéficient d’une position sociale respectable. Au total, l’artisanat du cuir a un impact multidimensionnel. Il génère des revenus à la chaîne d’acteurs impliqués, participe au brassage inter-ethnique, alimente le marché du tourisme et contribue par le biais de ses produits à la promotion de l’identité culturelle de l’Extrême-Nord à travers le monde. Mais il pollue aussi l’environnement par ses odeurs nauséabondes et le détruit par l’usage des peaux de la faune sauvage, attire les jeunes gens qui se désintéressent de l’école, d’où l’analphabétisme. Depuis quelques années, cet art local souffre de la raréfaction des peaux, des intrants de tannage et des matériels qui entrent dans la confection d’objets en cuir. Des conflits entre les artisans, les revendeurs d’objets en cuir et les ONG perturbent aussi cette filière dont la qualité des produits, souvent déplorée, affecte les ventes.

Full Text
Published version (Free)

Talk to us

Join us for a 30 min session where you can share your feedback and ask us any queries you have

Schedule a call