Abstract

Cet article examine la relation entre l’économie politique et l’éthique du journalisme d’actualités en Ukraine, après la révolution de Maidan et avant l’invasion russe. J’explique pourquoi les journalistes, selon qu’ils travaillaient pour des médias indépendants ou pour les médias officiels, évaluent leur proximité vis-à-vis du pouvoir politique et économique en termes radicalement différents du point de vue de l’éthique. Dans les deux cas, le problème éthique principal des journalistes réside dans la subordination de leur travail aux intérêts matériels de leurs puissants mécènes. Toutefois, les journalistes indépendants et les journalistes officiels interprètent ces intérêts différemment : les premiers comme un dangereux poison, les seconds comme une inévitable contrainte. Ainsi, différentes formes d’éthique prennent corps au sein de la profession. Parmi les employés des médias indépendants, se développe une éthique des valeurs, qui met en avant l’adhésion volontaire et désintéressée à des idéaux purs, détachés de toute obligation ou gratification matérielle. Parmi ceux qui travaillent pour des annonceurs officiels appartenant aux oligarques, en revanche, c’est une éthique du pragmatisme qui a cours, mettant l’accent sur le compromis pratique entre des intérêts puissants et des idéaux professionnels élevés. J’avance ici que le « pragmatisme » se déploie parmi ceux qui ne peuvent pas s’émanciper des rapports de domination sous la contrainte desquels ils travaillent, et qui cherchent à les utiliser à leurs propres fins en acceptant les gratifications auxquelles leur complicité leur donne accès. Par contraste, les « valeurs » pures jouent un rôle cardinal pour la minorité de journalistes qui trouvent les moyens viables de rejeter ces rapports de domination, mais qui ne s’en trouvent pas moins, de ce fait, dans une position précaire au sein de leur profession. À travers ces deux formes d’éthique, les journalistes négocient des positions structurelles différentes dans l’économie médiatique de l’Ukraine. En faisant usage des ressources à leur disposition, mais sans s’y limiter néanmoins, ils œuvrent ainsi chacun au bien social et s’efforcent d’accommoder au mieux leur autonomie des déterminismes sociaux.

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